Le 10 décembre 1993, l’Opération Mourou n’gou s’embarquait officiellement pour la République Centrafricaine.
Elle s’était fixée pour objectif de réactualiser les informations que, dans les années 30, Lucien BLANCOU avaient recueillies auprès des populations locales concernant un félin mystérieux (dans lequel on pouvait peut-être voir un animal de la famille des Tigres-à-dents-en-sabre) dans la région du Bamingui-Bangoran alors qu’il était adjoint des services civils puis inspecteur en chef des chasses en Afrique équatoriale française (l’ancien nom de la R.C.A, alors colonie française).
La Préparation
La préparation de l’entreprise n’avait pas été des plus simples et malgré divers articles dans les journaux, les sponsors ne s’étaient pas pressés aux portillons.
La raison ne semblait pas se trouver dans un inintérêt pour le sujet de la part du public, alors il fallait sans doute la trouver dans l’inexpérience de la toute jeune Association Belge d’Etude et de Protection des Animaux Rares dans ce type de recherche et sans doute aussi dans le fait qu’elle ne possédait encore aucun passé.
Donc il fallait que les membres de l’équipe, constituée d’un photographe professionnel, Eric BRASSEUR, d’un guide de chasse, Willy BLOMME, et de moi-même mettent la main au gousset si l’expédition voulait partir.
Le photographe se désista et seul je m’embarquai ce matin du 10 décembre 1993 pour l’Afrique, ayant trouvé in extremis une place dans un avion pour Bangui, la capitale de la RCA.
A l’hôtel Sofitel de Bangui je retrouvai Willy BLOMME qui, parti avant moi, ne m’attendait que huit jours plus tard. Encore quelques jours pour régler les derniers détails et nous montâmes en 4X4 vers la sous-préfecture de Bamingui.
Les 650 kms de piste défilèrent sans incident.
Cette zone avait été choisie, parmi d’autres, parce que Lucien BLANCOU y avait relevé des témoignages quant à la présence, au début du siècle, d’un mourou n’gou.
Voici, pour mémoire, le récit que BLANCOU avait transmis dans une lettre à Bernard HEUVELMANS et que celui-ci a publié en 1978 dans son livre Les Derniers Dragons d’Afrique ( Ed. Plon-1978) : « En 1911 (date vérifiée par recoupement), étant porteur pour un détachement de tirailleurs allant de Fort-Crampel à Ndélé, Moussa vit saisir un de ces soldats par un mourou-ngou au confluent des rivières Bamingui et Koukourou. L’animal était conformé comme une panthère, un peu plus grand qu’un lion, mais avec des rayures, et long de quatre mètres environ. Le fond de la robe était de la couleur d’une panthère également, mais l’empreinte du pied m’a été bizarrement décrite comme comportant un « cercle » au milieu (?). Le tirailleur se trouvait dans une pirogue quand l’animal sortit du Koukourou, juste au confluent, « comme un hippo », saisit l’homme dans la pirogue et l’emporta dans l’eau en culbutant l’embarcation, ressortit encore une fois avec le tirailleur dans la gueule et disparut. Le pagayeur de la pirogue se sauva à la nage, mais le fusil et l’équipement du tirailleur restèrent au fond de l’eau. Après ce drame, le détachement renonça à traverser la rivière et alla la passer plus en amont (à environ trois jours de marche vers l’est). « Moussa me dit n’avoir jamais revu le Mourou-ngou, ni ses empreintes. Il avait trouvé de celles-ci auparavant, à peu près au même endroit, en allant conduire, à Fort Crampel, des boeufs du sultan Snoussi. Elles se trouvaient à côté du Koukourou, plus grandes que celles du lion. Moussa n’avait jamais entendu cet animal crier, ni entendu parler de son cri. L’affaire se serait passée en pleine saison des pluies, vers le mois d’août. » (D’après Heuvelmans)
Le Premier Témoignage
Y avait-il des possibilités pour qu’un mourou n’gou ait été vu depuis dans la région ?
La chance allait être en partie avec nous. Le premier témoignage que nous recueillîmes provenait de Denis, un homme d’une cinquantaine d’années, qui avait travaillé, entre autres, comme prospecteur de diamants près de la Ouaka, et donc son témoignage ne concernait pas directement la région du Bamingui.
C’était à cette occasion qu’il avait pu voir la « Panthère d’eau ». Lors d’une sortie en brousse, il me conta qu’il avait aperçu le mourou-n’gou alors que celui-ci était dans l’eau.
Seule sa tête et ses épaules émergeaient de la rivière. Il tournait la tête de droite à gauche, comme s’il cherchait quelque chose. Cette tête ressemblait à celle d’une Panthère, mais elle n’était malgré tout pas totalement identique. En fait, le plus caractéristique était qu’il était très méchant et qu’il chassait généralement en compagnie d’un second animal. Il n’en avait jamais vu l’empreinte. L’événement se serait passé vers 1962-1963.
Moussa, un de nos pisteurs, qui assistait à l’entretien confirma les dires de Denis, et, bien que lui-même n’avait jamais vu le félin, il le connaissait de réputation et ajouta que sa robe était tachetée comme celle de la Panthère et qu’un mourou n’gou, dans l’eau, attendait la proie que son congénère rabattait vers lui.
Moussa affirma que la taille de l’animal était semblable à celle d’une Panthère.
Il nous conseillait d’interroger les pêcheurs, et surtout le vieux Gaspard qui parcourait la rivière Bamingui, près de la ville de Bamingui , depuis près d’un demi-siècle. Moussa prétendait qu’il avait vu la « Panthère d’eau ».
Nous cherchâmes Gaspard : on nous apprit qu’il était quelque part sur le Bamingui. Nous mîmes trois jours pour trouver son campement. Le mourou n’gou ? Non, Gaspard ne l’avait jamais vu et pourtant il connaissait bien la rivière, nous dit-il. Visiblement, il nous mentait. Mais pourquoi ? La réponse est simple. Qui étions-nous ? D’abord des Blancs, des étrangers, qu’il ne connaissait pas. N’étions nous pas, de plus, des officiels : agents des eaux et forêts par exemple ? N’allions nous pas tenter de le taxer ?
Ici, visiblement, le « secret de brousse » marchait à fond : moins on en dit et mieux cela vaut.
Cette piste qui aurait pu être importante, voire essentielle, se fermait. Nous n’insistâmes pas, sachant qu’on n’en saurait pas plus de la bouche de Gaspard.
J’appris entre-temps qu’un guide de chasse africain l’avait vu dans les années ’80, le long du Bamingui-même. Il se fait que celui-ci se trouvait au camp. Ne voulant pas qu’il se ferme comme Gaspard, j’entrepris de créer suffisamment de liens avec lui.
Entre-temps Willy, ses pisteurs et moi allâmes placer des appâts le long du Bamingui. L’espoir qu’ils soient visités par le mourou n’gou était faible, mais nous devions malgré tout tenter l’expérience.
Le Témoignage de Marcel
Au bout de plusieurs jours, je réussis à avoir un entretien avec Marcel, le guide africain.
Voici ce qu’il me narra un soir.
« C’était en février 1985, à l’époque où tout a été brûlé. Il était environ trois heures de l’après-midi environ. J’étais en train de pêcher, assis au bord du Bamingui, lorsqu’un Mourou-n’gou est arrivé par derrière, à toute vitesse.
Je ne l’avais pas vu et c’est au bruit qu’il a fait que, en me retournant, je l’ai vu qu’il venait vers moi. J’ai attrapé peur parce que je n’avais rien pour me défendre, mais la bête a sauté dans l’eau. Il avait la taille et la grosseur d’un guépard.
Sa robe était ocre, un peu mais pas tout à fait comme la panthère; tirant plus vers le brun. Elle avait des taches blondes (?), bleues (?), noires au milieu aussi. Sur le dos on les voit bien, mais pas très bien sur les côtés. Sur le dos elles sont même plus nettes que chez la panthère.
D’habitude ils sont deux : l’un attend dans l’eau et l’autre passe derrière la proie pour la chasser vers son congénère, mais si tu sautes sur le côté alors c’est lui qui tombe dans l’eau et là celui qui attend dans l’eau le tue. Mais celui-ci semblait seul. Je ne sais pas si dans ces cas-là on a affaire à un mâle et à une femelle. Je ne sais pas quelle est sa proie préférée.
J’ai été prévenir le chef du cantonnement et nous avons suivi la trace. Cette trace est comme celle de la panthère, mais plus grosse et en plus on voit la trace des griffes quand il court, ce qui n’est pas le cas chez une panthère.
La tête est à peu près comme la civette. Les dents sont comme celles du lion ou de la panthère.
En fait c’est plutôt gros comme des dents de lion à partir de la troisième. Il a une grande queue avec beaucoup de poils, plus que chez la panthère. Les oreilles ne diffèrent pas de celles de la panthère.
J’avais déjà auparavant entendu parler de l’animal, notamment par un vieux chasseur, mais il est mort aujourd’hui. Les gens ont peur du mourou n’gou parce qu’il est dangereux. »
Je lui ai demandé s’il connaissait le guépard royal. Il me répondit que oui, mais qu’il n’en avait jamais vu. Dans la reproduction d’un guépard royal que je lui ai montrée, il n’a pas reconnu le mouroun’gou.
« La tête est à peu près comme la civette » signifie-t-il que la face présente un masque foncé ?
Les appâts n’avaient rien donné de concluant.
Ils avaient bien attirer des Hyènes tachetées, d’ailleurs particulièrement grandes dans la région, et des Panthères – celles-ci d’ailleurs semblaient assez nombreuses dans le secteur -, mais aucune des empreintes relevées ne présentaient de particularités et ne se singularisaient de celles des carnivores précités.
Un autre témoignage, mais mineur, provenant de la femme d’un pisteur, parla de la présence de pattes « comme celles d’un canard », c’est à dire palmées.
Y aurait-il une adaptation à la vie dans l’eau telle que les pattes présenteraient une palmure comme chez certains rongeurs aquatiques, je pense au castor par exemple?
Une Autre Piste possible
Willy me parla d’une autre piste possible.
Il me dit connaître un chasseur indigène des environ de Mbrés qui possédait une peau bizarre.
Hélas, n’ayant pu obtenir qu’un billet d’avion valable un mois, je devais rentrer en Belgique. Willy me promettait de m’envoyer une photo de cette mystérieuse peau.
Revenu en Belgique, je reçus quelques semaines plus tard une photo me montrant la fameuse peau.
L’échelle de celle-ci en était définie par Willy qui la tenait. Avec des réserves, je l’identifiai comme appartenant à un Chat doré africain Profelis aurata.
J’en eus la confirmation grâce à la bienveillance du Dr LENGLET, chef du service de mammalogie de l’Institut Royale des Sciences Naturelles de Belgique (I.R.Sc.N.B).
En consultant des cartes inédites sur les aires de répartition des mammifères africains que le Dr.Xavier MISONNE, ancien directeur de l’ I.R.Sc.N.B., avait dessinées voici quelques années, je ne découvris pas que l’aire du chat doré remontait aussi loin vers le nord.
Alors aujourd’hui, je me pose une question : Pourrait-il y avoir confusion entre un « Mourou-n’gou » et le Chat doré africain?
Tout d’abord, ayons à l’esprit que nous avons affaire à un nom vernaculaire qui peut représenter plusieurs types d’animaux bien différents.
Eliminons d’amblée le Potamogale Potamogale velox, insectivore à allure de loutre parfaitement adapté à la vie aquatique et qui mesure 25 à 35 cm de long, pour une queue de 25 cm. Tout insectivore qu’il est, il se nourrit également de poissons et d’amphibiens.
Baptisé également Mourou-n’gou par les autochtones, ni son allure ni sa taille ne correspondent à notre Mourou-ngou. (*)
Ceci fait, voyons ce qu’il en est du Chat doré africain. Voici ce que Bernard HEUVELMANS m’écrivit le 25 janvier 1994 à propos des témoignages que j’avais recueillis.
A cette époque, je n’avais pas encore reçu la photo de la fameuse peau. « […] il s’agit de toute évidence d’un carnivore distinct de ceux qu’on connaît (je ne dis pas un félin). Mais il faut songer néanmoins au Chat doré, dont on ne sait rien (Felis aurata) tant il est discret, mais il est de forte taille pour un chat. La mention de griffes non rétractiles est curieuse, ainsi que celle de pattes arrières palmées (« comme un canard »).
La mention de dents de la taille de la 3e dent du lion indique que les canines sont particulièrement grandes pour un animal de la taille du guépard. »
D’après Christian Le Noël, qui a été guide de chasse en République Centrafricaine, la région de Mbrès et les abords du Bamingui (cours d’eau longé de galeries forestières) présentent un biotope où le Chat doré pourrait se plaire.
L’on sait malgré tout que celui-ci a volontiers des moeurs aquatiques. Selon les documents CITES que je possède, il est parfois surnommé « chat-panthère », en raison du dessin de ses ocelles rappelant, en plus petit, celles d’une panthère.
Chez certains individus ces taches sont bien marquées sur les flancs et sur les pattes. C’est en effet le cas pour l’individu dont j’ai obtenu la photo.
Enfin, en raison de son extrême discrétion, peu d’Africains, même au courant de la faune de leur région, le connaissent.
Notre Chat doré pourrait très valablement se prévaloir d’un titre de Mourou-n’gou.
Ce qui n’exclut nullement que d’autres carnivores le revendiquent également et notamment les « fauves » rencontrés par Denis et Marcel, qui semblent bien trop grands pour des Chats sauvages même africains.
Si nous trouvons le budget pour le faire, nous devrions retourner prochainement dans la région afin de collecter davantage d’informations… Affaire à suivre….
Pour en savoir plus…
Bernard HEUVELMANS « Les Derniers Dragons d’Afrique » (Plon 1978) Jiri FELIX « Faune d’Afrique » (Gründ 1986)
(*) Depuis que j’ai écrit cet article en 2010, de nouvelles informations me sont parvenues ou ont attiré mon attention.
Feu le Dr. Carlos Bonet a enquêté au lac Tanganyika où une créature similaire au Mourou-ngou est signalée.
Selon l’hypothèse qu’il a partagée avec moi à la fin des années ’90 il pourrait s’agir d’une loutre géante, voisine de Pteronura brasiliensis qui hante les fleuves amazoniens.
Curieusement en 2007 une information totalement indépendante est venue d’un autre de mes informateurs Jean-François Floch qui a passé toute sa vie en Afrique de l’Ouest.
Sans rien connaître ni des études d’HEUVELMANS ou de BONET, il a mené sa propre étude sur un animal apparemment identique.
Là où HEUVELMANS voyait un tigre-à-dents-en-sabre relique, Floch est convaincu qu’il s’agit d’une loutre géante. (Voir Cryptozoologia N°63 – 2007 : Croyances, initiation, information sont-elles les bases de la cryptozoologie ?)
Conclusion : Potamogale et loutre géante ne sont-ils pas morphologiquement proches (convergence évolutive) ?