Un article des plus intéressants sur la biodiversité et qui touche de près notre domaine d’activité vient d’être publié sur le site de Libération par Olivier Monod :
« Peu rentable, la recherche de nouvelles espèces animales et végétales souffre de manque de moyens. Si les chiffres du nombre d’espèces connues divergent selon les scientifiques, une chose est certaine : plus le temps passe, moins il y en aura à découvrir.
A l’heure de la technologie reine et du lancement de grandes campagnes spatiales à destination de Mars, il est toujours aussi surprenant de réaliser à quel point nous connaissons peu notre propre planète.
L’ordre de grandeur de ce qu’on ne sait pas est tel que le chiffre exact importe peu. En 2016, deux chercheurs de l’université de l’Indiana estimaient que les espèces vivantes connues représentaient 0,001% du total. Selon le chercheur au CNRS Philippe Grandcolas, le chiffre serait plutôt autour de 20%. Avec un bémol. «On dit que la science a décrit 2 millions d’espèces, environ. Mais nous en connaissons bien quelques dizaines de milliers. Pour les autres, il s’agit de quelques pages dans des vieilles publications de taxonomie», précise-t-il.
Autre précision utile : inconnu pour la science ne signifie pas perdu pour tous. Depuis moins de cinq ans, une nouvelle espèce de taupe a été décrite en France (Talpa aquitania). Elle était bien sûr connue des gens du coin mais pas comme une espèce différente de ses voisines.
Qui sont les êtres vivants les plus présents sur Terre ?
Ces précautions étant prises, comment expliquer que l’on connaisse aussi mal le vivant ? L’anthropocentrisme est une première explication. Sur 550 gigatonnes de carbone (GtC) d’êtres vivants sur Terre, l’homme représente 0,006 Gt, les mammifères et les oiseaux 0,1 Gt… Le reste ? Des plantes, essentiellement pour 81% du total, mais aussi des bactéries, des arthropodes ou encore des annélides. Bref, des trucs qu’on ne regarde pas trop, ou avec difficultés. Les êtres humains préfèrent regarder les oiseaux que les insectes (du moins passé 12 ans).
L’effet collecteur
Ensuite, il y a les écosystèmes mal connus. Le fond des océans, les forêts tropicales, les déserts, autant d’endroits vastes et en grande partie inexplorés scientifiquement. Et quand ils le sont, intervient le fameux effet collecteur qui peut se résumer comme suit : on connaît mieux les endroits les plus accessibles. «C’est ainsi que les données de répartition des arbres en Amazonie suivent les cours d’eau qui sont autant de voies d’accès faciles, illustre Philippe Grandcolas. Même aux Etats-Unis, le nombre d’espèces de plantes recensé est fonction de la proximité avec un campus universitaire.»
Rechercher de nouvelles espèces et explorer le vivant peut paraître fastidieux. Ce thème était très à la mode au XIXe siècle, mais la science s’en est depuis détournée au profit d’autres secteurs plus immédiatement rentables. «Les gens nous disent : « Cela fait deux siècles que vous êtes dessus, vous n’avez pas fini ? » Non, nous n’avons pas fini. Il faut des équipes pour faire avancer ces projets. Malheureusement, ce secteur est moins financé, et de moins en moins important en termes de personnes», soupire Philippe Grandcolas.
Le déclin a commencé…
Plus le temps passe, moins il reste à étudier. Tous les indicateurs sur la biodiversité connue pointent vers le rouge. L’Union internationale pour la conservation de la nature considère que 31 030 espèces sont menacées d’extinction. Et elle n’a évalué que 116 177 espèces !
En 2012, l’Organisation des Nations unies pour l’environnement (Onue) a lancé la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes), regroupement d’experts sur le sujet, un peu sur le modèle du Giec pour le climat. Dans son rapport, l’Ipbes estime qu’environ 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, notamment au cours des prochaines décennies, ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité. Les résultats sont bien évidemment différents selon les catégories d’êtres vivants regardés.
…et il s’accélère
La vitesse de cette extinction donne le tournis. La dernière méta-analyse publiée dans la revue scientifique Science, «la plus vaste à ce jour» sur les insectes constate une chute d’environ 24% en trente ans, particulièrement marquée en Amérique du Nord et dans certaines régions d’Europe, avec une accentuation inquiétante du déclin depuis 2005 sur le Vieux Continent.
En effet, les données locales sous nos latitudes font froid dans le dos. En Allemagne, une étude menée sur vingt-sept ans annonce la disparition de 75 % des insectes volants dans le pays – et cela seulement dans les zones naturelles protégées.
En France, 39% des espèces de poissons d’eau douce sont «menacées» ou «quasi menacées de disparition» contre 30% il y a dix ans. Ce n’est pas mieux sur terre. L’étude par le CNRS de 160 zones de 10 hectares d’une plaine céréalière typique des territoires agricoles français situées sur la Zone atelier Plaine & Val de Sèvre fait état d’une réduction de la population de certains insectes allant jusqu’à 80% entre 1995 et 2017. Les chiffres pour les oiseaux sont de -35% pour l’alouette des champs et -80% pour la perdrix grise (évalué en comptant le nombre de mâles chanteurs par carré de 10 hectares).
Dans son rapport, l’Ipbes a estimé le pourcentage cumulé d’espèces d’animaux disparues depuis l’année 1500. La révolution industrielle semble avoir été fatale aux amphibiens, reptiles et poissons notamment.
Car les causes de ces disparitions sont bien établies et l’homme a sa main dans presque toutes. En premier, les changements d’usage des terres et de la mer qui chassent les espèces de leur lieu de vie. En deuxième, l’exploitation directe de certains organismes (on pense à la pêche). Viennent ensuite le changement climatique, la pollution, les espèces exotiques envahissantes et les pathogènes. »
A LIRE AUSSI La biodiversité, parent pauvre de la recherche