Je m’interroge sur le futur de la cryptozoologie qui a, contre elle, une mauvaise réputation, en tant qu’un rassemblement de rêveurs,
d’affabulateurs, d’illuminés, d’escrocs, d’incultes, d’incompétents, et je vous laisse finir la liste des attributs habituels en la matière.
Mais, et surtout, la Cryptozoologie n’est pas très peuplée, et elle est
même dépeuplée, pour ce qui est des scientifiques professionnels et des experts reconnus et agréés par les instances officielles.
Au mieux, en règle générale, on y trouve des naturalistes, des zoologistes, tous amateurs, éventuellement d’un bon niveau, le plus souvent par autodidaxie, et quelques intrépides en rupture de ban de l’establishment scientifique.
De plus, la cryptozoologie est coincé entre la zoologie officielle, et ce qu’il faut bien appeler le paranormal, le surnaturel, l’occulte, etc., auxquels elle est facilement, et même de plus en plus assimilée, de par les dérives actuelles dont nous parlons souvent.
Ces tendances, qui ont déjà envahi l’ufologie, vont contribuer à encore plus décrédibiliser et à encore plus ridiculiser la cryptozoologie, qui n’avait pas besoin de ce coup du sort supplémentaire pour être déjà bien déconsidérée.
La lecture du livre The Heyday of Natural History m’a fait découvrir que, au XIXème siècle, lors de cet engouement du grand public anglais pour les sciences naturelles, la cryptozoologie, qui n’était pas connue sous ce terme, alors, était présente, naturellement, dans l’esprit des gens, qui étaient prêts à admettre comme possibles bien des animaux extraordinaires, et cela en contraste net avec notre temps.
A cette époque, vous auriez bien plus facilement pu faire entendre votre voix, en matière de bipèdes velus nouveaux.
Ce livre évoque aussi un fait dont j’ai pris conscience grâce à lui, celui de la dichotomie qui s’est alors produite, entre la Science et le grand public.
En effet, dans ce siècle dix-neuvième, il n’y avait pas de distance réelle entre un professionnel des sciences naturelles d’alors (zoologie, botanique, géologie) et un amateur autodidacte de très bon niveau, et même, nombre de ces amateurs devinrent des professionnels, de par leur sérieux et souvent du fait leur contribution à des avancées majeures, sinon leurs découvertes pure et simple de faits nouveaux.
C’était un temps où un naturaliste amateur pouvait écrire à une de ces sommités et en obtenir une réponse personnelle, une dynamique relationnelle impensable de nos jours, pour celui qui écrirait à un ponte actuel.
De même, le grand public pouvait, y compris dans les classes ouvrières, et encore plus facilement dans les classes moyennes, pratiquer les sciences naturelles au même niveau exploratoire que celui pratiqué par les professionnels, y compris l’usage du microscope, par exemple.
A la fin de ce même XIXème siècle, la Science est alors devenue beaucoup plus quantitative que qualitative, bien plus analytique que descriptive, les mathématiques et les statistiques y ont fait leur apparition, ainsi que les expérimentations de laboratoire et les méthodologies complexes.
Du coup, le grand public fut laissé derrière, et son intérêt s’évapora,
faute de pouvoir rester à niveau avec les savants qui, de plus,
s’enfermèrent de plus en plus dans leurs laboratoires et dans leurs Musées.
Des Musées qui se firent moins ouverts, également, certaines
collections, salles, archives, devenant réservées aux seuls
professionnels, alors que, avant, tout était accessible au grand public.
Et le fond Heuvelmans du Musée de Lausanne est une bonne illustration de ce facteur limitant.
Un phénomène identique, d’accès restreint, venant également frapper les utilisateurs de bibliothèques diverses, d’archives spécifiques, avec la création des fonds à accès limités.
En Angleterre comme en France, on pouvait, au début du XIXème siècle, assister à des conférences publiques, souvent gratuites, pour tout le monde, qui étaient données par des gens au sommet de la hiérarchie scientifique, comme Huxley en Angleterre, ou bien comme Arago, Flammarion, etc., pour la France.
Cela existe encore me direz vous, de nos jours, mais à moindre échelle, et avec des conférences pour le grand public qui souvent tiennent plus du show que de la didactique des sciences.
Comme le disait Bossuet, dans une expression qui fait toujours mon délice : « …Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes… », et c’est ainsi que l’on voit, de nos jours, des cohortes de scientifiques se plaindre du désintérêt du public pour la Science, et même de la baisse constante du nombre des étudiants entrant en filières scientifiques.
Sans oublier leur déploration que de plus en plus de gens adhèrent à des pseudo-sciences et autres irrationalités.
Alors que ce sont bien eux qui ont créé ce mouvement en prenant leurs distances par rapport aux gens du commun (et ce terme n’est pas péjoratif, de ma part).
La Science, désormais, il faut également le reconnaître, pour pouvoir s’y intéresser sérieusement (et donc, au delà d’une simple curiosité passagère), cela demande un bagage intellectuel et technique bien plus élevé qu’en ces temps passés, et le phénomène est en augmentation constante, provoquant, inéluctablement, une diminution du nombre des impétrants.
Et d’autant plus que, en même temps, les niveau moyens d’instruction et de culture, des gens, sont en diminutions constantes, avec des étudiants, présents en Université, qui, quelques décennies en arrière, auraient été considérés comme des incultes quand ils n’auraient pas été déclarés être des semi-illettrés.
L’effondrement aussi net de la capacité à la lecture de fond (quand ce n’est pas la lecture pure et simple), celle qui demande de l’attention, de la concentration, du temps, de la réflexion, et une excellente maîtrise de la langue française, alliée à un vocabulaire riche, est également là pour signaler le problème.
De ce fait, le différentiel entre le grand public et les scientifiques est en augmentation continue, tandis que la communication et la compréhension entre les deux classes se font de plus en plus ténues, et je me demande bien ce qui pourrait inverser cette tendance lourde, avec toutes les problématiques, sinon les dangers, que l’on peut facilement entrevoir.